Depuis six mois, Marcel
Diouf se répète bravement
la même phrase.
« Ça va aller, Inch’Allah.
» L’hôtelier sénégalais refuse
de céder au catastrophisme,
quand bien même son auberge située
à Mbodiène, sur la PetiteCôte
à 100 km au sud de Dakar,
reste désespérément vide. Tous
les matins, le personnel ouvre les
onze chambres, nettoie la cour,
entretient la piscine. « Puis on se
connecte sur Internet mais il n’y a
aucune réservation, pas même de
nos clients traditionnels de France
et du Canada. La saison haute est
pourtant censée commencer en
octobre », raconte M. Diouf, qui
avoue peiner de plus en plus à verser
le salaire de ses sept employés.
Les vols internationaux ont
beau avoir repris mijuillet
au Sénégal,
les touristes continuent de
se tenir à distance, échaudés par
l’évolution imprévisible de la
pandémie de Covid19
à travers la
planète. Le pays connaît les mêmes
déboires que ses pairs africains.
Du Maroc à l’Afrique du
Sud, du CapVert
à l’Ethiopie, le
tourisme a connu un coup d’arrêt
brutal et prolongé sur l’ensemble
du continent. Selon le Conseil
mondial du voyage et du tourisme
(WTTC), la crise du secteur
pourrait entraîner la destruction
de 7 millions à 17 millions d’emplois
sur l’année 2020, dans une
région du monde déjà frappée par
un chômage très élevé.
Au premier semestre, les arrivées
de voyageurs internationaux
en Afrique ont chuté de
57 %, selon l’Organisation mondiale
du tourisme (OMT). Et la débâcle
est loin d’être terminée : début
septembre, la moitié des destinations
africaines n’avaient toujours
pas rouvert leurs frontières.
« L’industrie a été décimée », s’afflige
Naledi Khabo, la directrice de
l’Association du tourisme africain,
une agence de promotion du
continent basée aux EtatsUnis
:
« La banqueroute menace de nombreuses
PME qui constituent l’essentiel
des acteurs du secteur. Elles
n’ont pas les fonds pour faire face
et doivent souvent se débrouiller
sans aides publiques. »
Un souvenir traumatisant
Le constat est d’autant plus amer
que l’Afrique était, avant la pandémie,
de plus en plus demandée par
les touristes internationaux. Les
arrivées étaient en forte hausse
(+ 6 % en 2019). Le secteur représente
aujourd’hui 10 % des recettes
d’exportation du continent
(contre à peine 5 % dans les années
1980), et plus d’un emploi sur cinq
dans certains pays comme le CapVert
ou l’île Maurice.
« La dynamique était excellente
et tout s’est arrêté d’un coup », résume
Sisa Ntshona, le patron de
la Fédération du tourisme en Afrique
du Sud : « C’est particulièrement
regrettable pour une économie
comme la nôtre, qui essaie de
se diversifier dans les services pour
moins dépendre des matières premières.
» Le professionnel garde
un souvenir traumatisant du premier
coup de semonce : l’annulation,
en janvier, d’un congrès international
sur l’ophtalmologie
censé se tenir en juin au Cap.
L’événement, en préparation depuis
cinq ans, devait accueillir
15 000 participants venus du
monde entier. Soit 15 000 billets
d’avion, 15 000 chambres d’hôtel
et tous les àcôtés.
L’Afrique du Sud, qui rouvrira
ses frontières le 1er octobre après
avoir été durement touchée par
l’épidémie due au coronavirus,
pleure ce tourisme de conférence
dont elle était l’un des piliers continentaux.
Elle s’interroge aussi
sur l’avenir des safaris proposés
aux amoureux de la faune sauvage
dans les réserves du pays.
« Rien ne permet de penser que les
clients types – des Occidentaux
fortunés et en général un peu âgés
– vont se précipiter pour revenir
tant que la situation sanitaire ne
sera pas complètement sous contrôle
», indique M. Ntshona.
Les animaux sauvages constituent
la principale attraction du
continent et drainent près de 80 %
des voyages touristiques en Afrique,
selon l’OMT. La désaffection
des visiteurs a des effets en chaîne.
Au Kenya, dans le sanctuaire de
Mara Naboisho, à proximité de la
réserve nationale du Masai Mara,
la fermeture d’entreprises locales
liées au tourisme a amputé les
moyens de subsistance de plus de
600 familles masai. La protection
de la faune risque d’en pâtir également,
le tourisme fournissant
souvent l’essentiel du budget des
organismes publics de gestion des
parcs nationaux, comme le Kenya
Wildlife Service.
Des atouts pour rebondir
Le redémarrage du secteur s’annonce
long et chaotique. Il pourrait
nécessiter deux à quatre ans
en fonction de l’évolution de la
pandémie et de l’état des frontières,
prédit Elcia Grandcourt, la directrice
du département Afrique
de l’OMT. En attendant, estimetelle,
la crise devrait être l’opportunité
d’impulser des changements.
En s’interrogeant notamment sur
l’ultradépendance
de cette industrie
visàvis
de certains clients,
blancs, européens et nordaméricains.
« Les pays africains réalisent
que l’accent n’a pas été assez mis
sur les touristes locaux et régionaux.
Certains ont désormais un
vrai pouvoir d’achat », insiste
Mme Grandcourt. Les attirer nécessite
de développer le transport intrarégional,
encore embryonnaire,
et d’ajuster les prix.
Aucun professionnel ne croit
que cette clientèle puisse compenser
l’absence des Occidentaux
pour des prestations telles
que les safaris, ces voyages de
luxe qui peuvent coûter des centaines,
voire des milliers d’euros
la journée. « Mais l’idée n’est pas
de remplacer les touristes traditionnels.
Il s’agit plutôt de conquérir
de nouveaux marchés encore
trop peu exploités : la classe
moyenne africaine, la diaspora
afroaméricaine,
les pays émergents
d’Asie », énumère Naledi
Khabo, de l’Association du tourisme
africain. A l’en croire, l’Afrique
a des atouts pour rebondir :
« Dans le contexte de l’épidémie,
certains voyageurs avides de repartir
vont rechercher la nature et
les grands espaces, ce que l’on
trouve sans peine sur le continent.
» Un avis que partage JeanFrançois
Rial, patron du groupe
Voyageurs du monde, qui affirme
vendre « chaque semaine » des
voyages pour la Tanzanie.
L’Afrique peut aussi se targuer
d’avoir globalement résisté mieux
que d’autres parties du monde à la
propagation du coronavirus. A
l’exception de quelques pays,
comme l’Afrique du Sud, la région
a limité les dégâts sur le plan sanitaire
: au 25 septembre, elle comptait
officiellement 35 000 décès
pour 1,2 milliard d’habitants. Selon
M. Rial, « quand le tourisme
mondial repartira enfin, c’est un argument
que les Africains